Épisode 6 “Bifurquons !” | Changer de modèle : rendre impossible ce qui n’est pas souhaitable
Et si nous changions de trajectoire ? Je veux parler de celle qui nous a emmenés dans le mur des multiples crises parallèles, qu’elles soient économiques, politiques, écologiques, climatiques, sociales, internationales et j’en passe. Existe-t-il une autre trajectoire que celle que nous sommes en train de prendre ? C’est ce que je vous propose d’examiner. Bifurquons.
Nous avons pu observer que les solutions pratiques ne manquent pas mais que ce sont nos décisions, nos comportements, nos modèles d’existence, notre absence de prise en compte du vivant dont nous faisons partie qui sont les problèmes. Et justement, nos modèles, qu’ils soient politiques, économiques, sociaux ou industriels, sont pour la majorité d’entre eux liés à des techniques, souvent présentées comme des solutions toujours adéquates.
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Rendre possible ce qui n’est pas souhaitable au service d’une croissance économique aveugle
L’idéologie moderniste nous a enfermés dans la croyance qu’aucun problème ne demeure bien longtemps sans solution technique. Et comme l’écrit Nicolas Marjault dans son excellent livre « Bassines : la guerre de l’eau« , nous nous enfermons dans une lutte sans fin visant à rendre possible ce qui n’est pas souhaitable, à utiliser la technique avant tout comme outil pour résoudre ce qui est incompatible avec nos modèles de croissance et conserver envers et contre tout ce qui n’est pas souhaitable pour le bien commun du vivant. Un exemple, la croissance économique est l’empreinte écologique du PIB. Ils sont antinomiques. On appelle à la rescousse l’innovation. Mais bien souvent, les techniques qui permettent d’affronter les problèmes sont partie prenante des causes qui génèrent ces mêmes problèmes dans un cercle qui mène à l’effondrement. Dans le cas de l’océan, et pour exemple celui de la surpêche, on aura dans un premier temps ratissé les fonds et les côtes les plus proches avec des moyens de pêche destructeurs. Dès lors on cherche à sauver le système productif, ou plutôt extractif, en poussant plus loin l’aventure avec des innovations et des techniques qui permettent d’aller plus loin, plus profond, de détecter tout banc de poissons à distance pour continuer à creuser la pénurie de poissons jusqu’à l’effondrement. On rend possible ce qui n’est pas souhaitable, un effondrement de la biodiversité et des populations de poissons. Que cherche-t-on ? Des rendements élevés de court terme et des valeurs ajoutées coûte que coûte. On imagine pouvoir s’extraire des contraintes du milieu océanique, de sa biodiversité, en façonnant à sa guise les moyens d’intervention. En gros, on rêve, après avoir pris connaissance des méfaits de plusieurs décennies d’aveuglement, d’une meilleure expérience des méfaits futurs avec la technique au service d’une croissance économique affranchie des limites planétaires, dont l’effondrement de la biodiversité ou le réchauffement du climat par exemple. Notre inventivité n’a pas de borne pour rendre possible ce qui n’est pas souhaitable. Et on peut multiplier les exemples. Exploration pétrolière délétère pour assouvir la soif d’énergie carbonée, exploration et extraction de minerais, ingénierie agricole au service de l’agriculture intensive, etc. etc. Cela ferait rire si ce n’était pas si révélateur de notre folie. Si les vaches d’élevage intensif, en nombre, suite à notre consommation effrénée de viande, génèrent du méthane, autrement dit si elles pètent, eh bien utilisons un composé synthétique pour inhiber l’enzyme responsable du dégagement de méthane. Mais surtout, ne changeons rien, continuons de consommer.
Le capitalisme financier enrichit quelques-uns au détriment de tous
Qu’on ne se méprenne pas, je ne tire pas ici à boulets rouges sur toutes les innovations scientifiques ou techniques. Ce que je questionne, ce sont ces innovations qui doivent nous permettre de transitionner vers une société décarbonée et résiliente aux effondrements des écosystèmes en cours. Très clairement, le capitalisme financier ne veut pas évoluer ni changer. Il ne souhaite en aucun cas changer de système de production, de réduire un rendement ou diminuer une valeur ajoutée financière. Il continue une démarche jusqu’au-boutiste qui mènera à sa destruction et surtout à la nôtre, en faisant usage de toutes les techniques pour maintenir ce qui n’est pas souhaitable. Dans une communication astucieuse, du mieux apporté par une nouvelle solution technique qui ne change pas d’objectif. L’accumulation de richesse sans contrainte des limites planétaires, avec une répartition en faveur des ultra-riches, laissant des miettes et des conséquences inattendues souvent prévisibles aux masses consommatrices leurrées par ces modèles politiques et financiers. Le capitalisme industriel et financier procure un enrichissement à quelques-uns au détriment de tous, vivants, humains et non-humains.
Changeons nos modèles pour pouvoir trouver notre place dans cette biosphère
Pourtant, d’autres voies existent, reprenons quelques exemples précédents. La surpêche ? Moins de bateaux monstrueux, plus de pêche artisanale concertée et respectueuse des contraintes biologiques du milieu marin, plus d’emplois, plus de résilience. La décarbonation des productions agricoles ? Elle passe d’abord par une consommation raisonnée de viande et non par une croissance exponentielle des cheptels d’élevage. L’exploration pétrolière ? Ces moyens ne seraient-ils pas plus habilement orientés vers la mise en place d’énergies renouvelables ? Les alternatives crédibles sont possibles. Les prises de conscience sont freinées par des discours qui évitent de remettre en cause les modèles alors que les avancées dépendent des priorités que l’on se donne. Regardons la biosphère autrement. Retrouvons notre juste place dans l’écosystème terrestre. Changeons de regard. Un stock halieutique n’est pas une masse de poissons exploitée. Un sol mis en culture n’est pas une réserve de carbone et d’éléments nutritifs. Une forêt n’est pas qu’un simple stockage de carbone à conserver ou à exploiter.
Changeons nos modèles politiques, économiques, juridiques et sociétaux. Regardons le monde sous un autre angle pour pouvoir y vivre et non y survivre.
Allez, bifurquons.