Secrets d’indifférence, épisode 3 | Requiem pour les requins
C’est la chronique d’une catastrophe annoncée que je vous fais aujourd’hui. Secrets d’indifférence est une série consacrée à la découverte de ces sujets pour lesquels notre absence d’attention et notre inertie conduisent à une catastrophe annoncée et en marche.
Aujourd’hui, je vous invite à vous interroger sur le massacre inéluctable des populations de requins. Car à coup de 100 millions de requins par an, et sur ces trois dernières décennies, on en arrive à avoir décimé les populations de requins à environ 90%. 71% depuis les années 70 selon l’association Aileron. Ces chiffres sont approximatifs, mais ils reflètent ce qui est observé dans toutes les régions du monde. Il faut dire que les données présentées par l’IFAO sont bien souvent incomplètes, incohérentes ou non conformes aux règles internationales en matière d’établissement de rapports.
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Une disparition liée à une absence de données et une gestion inefficace
Une part importante des captures de pêches n’est toujours pas déclarée au niveau de l’espèce, en particulier pour des groupes tels que les requins, les raies et les chimères. Selon l’UICN, Union internationale pour la conservation de la nature, 37% des espèces de requins et de raies sont menacées d’extinction. Une sous-estimation certaine en raison de l‘absence de données pour certaines espèces qui ne permet pas une classification. Selon l’UICN, toujours, les mesures de gestion efficaces font défaut dans la plupart des océans du monde et l’ensemble des espèces menacées de requins et de raies sont surexploitées. Autrement dit, on court à la disparition à un rythme effrayant.
Le cocktail indifférence-peur
Pas étonnant, car qui, en dehors de quelques plongeurs qui ont mis la tête sous l’eau, qui se sont intéressés à ce qui se passe sous la surface de la mer, aux espèces différentes, aux espèces vivantes, qui connaît les requins ? Car c’est bien notre indifférence qui est aux commandes. C’est notre évitement, notre absence d’intérêt pour ceux qui sont présentés comme les prédateurs ultimes des mers, les monstres à ne pas croiser, voire les monstres à éradiquer à tout prix. Une indifférence qui se double de nos peurs à l’encontre des requins, espèces décimées pour délit de sale gueule, par crainte, par méconnaissance, par généralisation à partir d’éléments irraisonnés, d’un imaginaire construit au fil des générations. Qu’il est difficile de laisser une place aux vivants qui nous entourent. Surtout quand le cocktail indifférence-peur crée ce rejet de ce que nous considérons comme nuisible. Ce terme « nuisible » a été banni des textes administratifs, mais il est toujours présent dans les mentalités, condamnant dans un même sac tout ce qui dérange, de l’araignée, au loup, en passant par le lynx ou l’ours, voire notre semblable qui vient d’ailleurs, à qui on refuse l’asile parce qu’il est différent. L’indifférence au sort des requins permet notamment une extermination par et pour le premier état pêcheur, la Chine, pour juste en prélever les ailerons afin de satisfaire un autre imaginaire, justifiant ainsi une exploitation marchande du vivant.
Un schéma de cohabitation à repenser
Quand on y pense, prélever les ailerons de requins sur des millions d’individus, cela s’apparente à ce qui fut réalisé par quelques homo sapiens au milieu du XXe siècle, qui après extermination de leur semblable, dans une production expérimentale, transformaient des peaux en abat-jour. « Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens » était la réponse expéditive du légat du pape et le signe d’une indifférence cynique du massacre des Albigeois en l’an 1209. Eh bien c’est du même raisonnement fallacieux que nos pratiques de cohabitation avec le vivant s’inspirent.
Et si on foutait la paix aux requins ?
Nous sommes coupables d’indifférence aux autres, qu’ils soient d’une autre espèce, voire de la nôtre. Coupables aujourd’hui, mais aussi pour le vivant de demain. Et si on foutait la paix aux requins ? Si on leur laissait la place à laquelle ils ont droit ? Et si le droit de tuer, que nous nous sommes accordés vis-à-vis du monde animal sauvage, était renversé ? Serions-nous moins heureux ? Serions-nous lésés ? Je ne peux que vous inciter à réfléchir à ces questions et surtout à mieux connaître les requins par l’expérience de ceux qui les côtoient plutôt que de ceux qui ne les ont jamais vus et qui les condamnent.