[Droit de l’Océan] Les juges jugent-ils encore ?

par | 26 Mar 2024 | La défense des droits de l'Océan, News

Retour sur les 2 référés portés devant le Tribunal administratif de la Réunion pour préserver les requins.

Mauvaise foi, incapacité ou incompétence, décision unilatérale illégitime: ces questions émergent… et entament le crédit accordé à une justice qui se moque de l’urgence, du vivant, en toute impunité. Le tout, pour le bénéfice d’un État sourd à l’intérêt du vivant, et compromis dans une absence de reconnaissance et de considération, des faits comme de ses propres engagements nationaux, européens et internationaux.

 

Découvrez le livre Requins et raies regards croisés avec l'un des auteurs, photographe sous-marin © Pascal KOBEH

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Deux référés rejetés

Le collectif d’associations oeuvrant à la Réunion a vu 2 référés rejetés successivement dans des conditions de jugement dont on peut questionner la légitimité :

– Le 1er référé-suspension (demande de l’arrêt des abattages à La Réunion) a été rejeté par le juge administratif, pour motif que celui-ci n’a pas été saisi dès le dépôt de sa demande en justice. Pourtant, les associations ont fait valoir une récente publication sur l’effet réserve qui appelait à une gestion plus durable des richesses marines, motif qui soutient la nécessité d’une décision en référé par l’apport d’un élément nouveau.

– Le 2ème référé, quant à lui, a été rejeté également, alors que les éléments nouveaux apportés par les associations sont de nature récente, scientifique, et internationale :  l’UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature) annonçait avoir procédé au classement de deux zones du littoral réunionnais en Aires Importantes pour les Requins et les Raies (AIRR ou en anglais ISRA) dans son atlas mondial (voir ici l’article dédié à ces ISRA). L’UICN souligne, par ce classement, que ces zones doivent bénéficier de mesures de protection. De plus, l’étude SAURA de l’association SHARK CITIZEN révélait également le mauvais état des populations de requin marteau, prises accessoires des pêches de requins.

Ajoutons à cela la jurisprudence du conseil d’État sur la prise en compte du classement des espèces à l’inventaire UICN pour justifier d’une suspension de mesure de chasse quand l’état des populations est incertain. Cette jurisprudence doit s’appliquer en présence de ces ISRA.

Que fallait-il de plus comme “éléments nouveaux ” dans ce dossier ?

Qu’en conclure ?

Le juge des référés du Tribunal administratif de la Réunion estime qu’aucun de ces arguments ne constitue un élément nouveau : le classement ISRA de l’UICN est une “information” dit-il … C’est fort pour un magistrat… et cela pose question, soit sur sa compétence en matière de droit de l’environnement, soit sur sa capacité à exercer un jugement impartial.
Ce raisonnement ne tient pas, il est même illégitime car, dans une logique totalement irréaliste, toute nouvelle aggravation de situation ne pourrait jamais être retenue, puisque la situation existe déjà au moment où la demande de référé suspension est introduite !
Puisqu’il y avait déjà menace, même si ça empire, ça ne change rien à l’affaire !  Bizarre, non ? Imaginez  une logique de ce type en soin médical …

Une absurdité juridique et politique

L’appréciation du juge ne tient compte, ni de l’urgence, ni du contexte d’évolution de nos sociétés.
En effet:
la France est signataire des Accords de Kunming-Montréal : le 19 décembre 2022, les ministres de près de 200 pays ont réussi à aboutir à un accord mondial sur la biodiversité à la COP15 de Montréal. Ils ont adopté un nouveau cadre mondial visant à enrayer le déclin de la biodiversité d’ici à 2030, dont la cible 4 (sur 23 cibles) est : “Stopper l’extinction induite par l’homme d’espèces menacées et favoriser le rétablissement des espèces, en particulier les espèces menacées”.

 

A qui profite le jugement ?

Les associations ne pourront pas poursuivre cette affaire au Conseil d’État, faute de ressources financières (coût élevé) pour un résultat, au mieux, dans 18 mois qui ne traitera pas du fond mais de la procédure juridique. Pour stopper 10 ans de prélèvements, il nous faudra faire émerger publiquement cette impunité juridique et politique.
Car, face à ce dossier, on ne peut que douter de l’efficacité et de la partialité de la justice française et de ses représentants.
D’autant que, dans cette affaire, le juge n’a toujours pas enjoint à la préfecture de conclure dans le dossier au fond. Pourquoi ?
Le préfet peut donc maintenir la pêche des requins et les prises accessoires sans même devoir se justifier. En toute impunité, le préfet joue la montre !
L’inertie du préfet est seule à l’origine de ces procédures de référé décalées et recalées puisque, plus une procédure dure dans le temps, plus le risque de circonstances nouvelles augmente, et plus la situation s’aggrave.

Quant au CSR (Centre de sécurité requins), son programme de pêche est organisé par l’autorité administrative, à travers un marché public confié à un groupement d’intérêt public, dont la préfecture est membre, en dehors de tout arrêté préfectoral. C’est un programme de pêche très lucratif, payé avec les deniers du contribuable, dont les bénéficiaires ne veulent surtout pas voir l’arrêt (déjà 178 000 heures de pêche rémunérées !). Il ne serait pas étonnant qu’on nous oppose les arguments économiques classiques, perte d’emploi ou entrave au développement économique, pour continuer à justifier les pêches totalement inutiles du CSR (dont 56% de prises accessoires).

 

Etat et justice en connivence “oublient” que nous sommes dans une période de déclin des espèces, que nous le savons, que les instances scientifiques et internationales pointent du doigt les pratiques et les zones impératives à préserver, et qu’à force de nous prendre pour des citoyens imbéciles, ils créent et forcent les conditions d’une ire populaire qui n’aura pas la mémoire courte.

 

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