Dans la droite ligne du podcast publié : Droits de l’Océan – Episode 9 – , voici un texte reçu, et confié par un de nos membres actifs, Ludovic DOUTRELEAU, qui devrait faire réfléchir tout chasseur sous-marin. Le droit de laisser vivre est le meilleur cadeau à offrir aux jeunes générations qui pourront s’émerveiller du monde sous-marin réel et non virtuel .
D. KRUPKA
Vice-Président LONGITUDE 181
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L’amer. Papa, un jour tu m’as dit: aime la mer. Je ne l’ai pas oublié.
Alors aujourd’hui je t’écris, Papa, pour te dire que tu as oublié qui tu étais et d’où tu venais.
Aujourd’hui je t’écris, à toi et tous les hommes; à ceux qui ont oublié que la mer fut leur berceau; à ceux pour qui la vie est un sursaut d’espoir à dérober et à ceux qui ne prennent pas le temps de penser à demain.
Un jour tu es remonté de la mer, ivre d’aventure, avec ton arbalète et tes longues flèches d’acier. Tes longues palmes à la main, debout sur le quai, tu me regardais marcher vers toi, et il y avait dans tes yeux une sorte d’histoire d’amour mal terminée. A chacune de tes respirations je sentais la force de tes poumons retrouvant la vie terrestre, après ces instants où je te voyais disparaître dans le bleu que tu me disais tant aimer.
Et puis, j’ai vu…
J’ai vu ce loup avec ses ouïes déchirées par ta flèche et sa bouche qui semblait gober un air vide de sens.
J’ai vu cette daurade, trop petite, touchée par ton estocade.
J’ai vu ces poissons, arrachés à la vie et à la mer pour servir de trophées dans ta glacière.
Et toi, ce jour-là, tu n’as pas vu que mon monde s’était effondré. Tu n’as pas remarqué, ni ce jour-là ni les autres ensuite, que tu me montrais mort ce que je voulais voir vivant.
J’aurais aimé que tu m’emmènes voir ces créatures de la mer, que tu m’apprennes à les observer en me faufilant discrètement dans ce monde sous-marin, sans y faire effraction et sans laisser de traces, au lieu d’en faire le trophée de cette chasse triste.
Un jour, tu m’as dit, papa, que ton cœur battait avec la mer et que tu aimais ces heures à naviguer ou à marcher vers tes plongées. Tu me disais, et je te croyais, que tu respectais la mer, et que les océans abritaient des vergers sous-marins, des collines et des montagnes, de grandes plaines à l’infini habitées par tant d’espèces que sans doute nous ne pourrions les connaitre toutes. Je te voyais regarder les vagues, et je pensais que tu écoutais leur chant.
En fait, tu n’écoutais que toi. Quel est donc cet égoïsme dont tu as pris la main, ton fusil dans l’autre, pour te placer au sommet du monde vivant et blesser cette mer qui t’accueillait?
Aimer, c’est écouter et chercher à comprendre me disais-tu, mais tu ne sais plus en prendre le temps et ton ignorance te rassure grâce aux certitudes coupables qu’elle entretient.
Tu voudrais perpétuer ta race de chasseur, oubliant que la veille tu remplissais ton chariot dans une grande surface sans n’avoir jamais, de toute ton existence, connu la faim. Non, papa, tu n’es plus un chasseur, car le chasseur est mû par la nécessité, comme le prédateur. Tu es simplement un voleur, car du bout de ton fusil sous-marin, le ventre plein, tu dérobes aux rivages et à tes enfants la beauté de ce qu’ils ne pourront plus voir après ton passage. Loin d’être un héros, tu es anachronique et conquérant de pacotille d’une vie que tu crois dompter alors que le monde s’offre à toi et à tous ceux qui y habitent.
Un jour, tu m’as parlé de traditions. Où sont-elles vraiment? Tu ne sais pourtant pas vivre sans téléphone portable et tu fais tes courses au milieu d’une abondance dont tu ne t’étonnes même plus. J’ai surtout compris que les traditions que tu invoquais étaient rassurantes quand tu partais la glacière sur l’épaule et le fusil à la main.
La Terre, les Mers et les Océans sont à tous. Locataire le temps d’un week-end, tu crois qu’ils t’appartiennent parce que grâce à ton habileté tu t’es emparé avec une violence inouïe de quelques daurades qui ont croisé ton harpon. Tu aurais pu te poser la question de savoir ce qui nous arriverait si chacun partait chasser ces mêmes daurades? Tu n’as pas l’audace du chasseur intrépide que tu souhaites être, tu as juste l’arrogance mercantile de quelqu’un pour qui tout se vend et tout s’achète et l’ignorance de la pénurie – celle du long terme, celle de l’humanité et du respect du vivant.
Montre-moi ton humanité au lieu de t’enorgueillir de ton ignorance et ta brutalité. Ne perpétue pas la violence, mais fais de l’Océan une cathédrale de la vie. Ta puissance, papa, c’est ton humanité, ta sensibilité et ta bienveillance à l’égard de tous les êtres qui peuplent notre planète bleue.
Papa, accroche ton fusil au grenier et emmène-moi plonger.
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Ludovic DOUTRELEAU