Quelle est la différence entre un tableau de maître et un vieux mérou qui rôde paisiblement dans les calanques ? Aucune. C’est ce que vient de rappeler, aux dépens de braconniers et de restaurateurs indélicats de la région de Marseille, la chambre correctionnelle du Tribunal judiciaire dans un jugement prononcé le 6 mars dernier. Nous avons collectivement toutes les raisons de nous en féliciter.
(le jugement complet est ICI: https://www.longitude181.org/wp-content/uploads/2020/03/jugement060320pdf.pdf . L’analyse qui en est faite est réalisée par un juriste du programme Droits de l’Océan de LONGITUDE 181)
Quelle était l’origine du préjudice?
Représenté par Me Sébastien Mabile, le Parc des Calanques sollicitait que le préjudice écologique causé au patrimoine marin, dont il a la charge, par la pêche illégale d’oursins, de poulpes et de poissons soit réparé par des pêcheurs fautifs, des passionnés d’apnée qui pendant plus de quatre ans ont chassé au harpon, de nuit, des mérous, oursins et poulpes.
La réparation du préjudice écologique reconnue à la suite du naufrage de l’Erika est en effet inscrite depuis 2016 dans le Code civil aux articles 1386-19 et suivants. Mais, ce qu’il faut relever, c’est que le Parc des Calanques fondait sa demande en réparation au titre du préjudice écologique uniquement sur les atteintes causées aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes.
Il ne s’agit plus de rapporter la preuve du préjudice causé à la collectivité par l’atteinte à des ressources communes ; il s’agit d’évaluer l’impact sur l’écosystème et lui attribuer un prix, certes à des fins dissuasives, mais un prix quand même.
Le jugement rendu par le Tribunal judiciaire de Marseille doit être remarqué, non pas seulement parce qu’il va condamner les quatre principaux responsables à plus de 350 000 euros de dommages-intérêts, mais parce qu’il prononce cette condamnation au titre du préjudice écologique causé à l’écosystème des calanques.
“Cette condamnation est un signal très fort, avec une vocation pédagogique pour tous les acteurs à Marseille“, s’est félicité l’avocat du parc, Me Sébastien Mabile, ajoutant que depuis son inscription dans la loi en 2016, le “préjudice écologique” n’avait été “retenu que dans deux affaires en France, de moindre ampleur“
Comment les dommages-intérêts ont ils été calculés ?
Pour ce faire, le jugement procède à une évaluation de l’appauvrissement de la biomasse en appliquant aux espèces pêchées des coefficients trophiques ; c’est-à-dire des coefficients fondés sur la masse nutritionnelle requise en amont pour permettre à l’espèce pêchée d’atteindre sa propre masse. Ainsi, le mérou, par exemple, espèce prédatrice, a un coefficient trophique de 1 sur 10, car il lui faut environ 10 kg de nourriture pour former un kilo de matière. De ce fait, pêcher un mérou d’une masse de 30 kg revient à prélever l’équivalent trophique de 300 kg.
Ainsi, l’impact sur la biomasse des calanques au cours de trois années de pêche pour les quatre protagonistes est évalué à 194.046 oursins, 289 kg de poulpes et près de 45 tonnes de poissons. Cela donne le frisson quand on sait que les quatre pêcheurs français poursuivis ne représentent qu’une infime partie des activités de pêche illégale sur notre littoral.
Le jugement procède ensuite à une évaluation du coût nécessaire pour régénérer l’écosystème en fonction de la biomasse prélevée uniquement sur la zone côtière des calanques. Et là, on s’aperçoit que pour récupérer la biomasse prélevée uniquement sur la zone des calanques il faudra régénérer l’équivalent de près de 70 hectares, soit un coût de plus de 350.000 Euros en prenant en compte le coût supporté par le Parc des Calanques pour la conservation du parc par hectare.
Un jugement qui remet la biodiversité et la vie en priorité
Il y a des trésors sous la surface de la mer et certainement des chefs-d’œuvre de la nature qui valent autant qu’un tableau de maître, ne serait-ce que parce qu’ils n’ont pas de prix et que leur valeur réelle n’est certainement pas celle du kilogramme chez l’écailler.
Le Tribunal judiciaire de Marseille vient de contribuer à rappeler que la valeur de la biodiversité n’est pas un prix fixé par le marché de l’offre et de la demande, mais celui de la nécessité la plus absolue, celui de la vie demain.
Cette décision mérite d’être suivie, car elle rappelle que l’atteinte à l’écosystème dans lequel nous vivons ne peut plus se justifier en fonction du prix du marché.
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