Accident à la Réunion du 21 Février 2017 – Réaction aux propos des surfers J. Flores et K. Slater
Rien n’est plus inadmissible que la mort de celui que l’on aime. Rien n’est plus insupportable que la douleur de la disparition d’un parent, d’un ami brutalement happé en pleine vie. Nous comprenons l’immense peine car nous l’avons vécue.
Pourtant, la douleur n’est pas bonne conseillère. Car la réaction épidermique qu’elle suscite s’apparente à une vengeance, mais n’apporte certainement pas le recul nécessaire à la réflexion. Aucune pêche punitive, aucune vengeance n’apaisera la douleur, aucun massacre ne résoudra le problème.
Nous nous proposons d’apporter ici des éléments qui pourraient permettre d’éviter l’horreur des accidents dus aux requins, sans pour autant mettre en œuvre une politique d’éradication des requins.
Responsabilité
En effet, chers Messieurs Flores et Kelly Slater, vous qui êtes les héros et les idoles d’un sport éblouissant, que diriez-vous à un skieur qui s’engagerait dans un couloir d’avalanche le jour où le risque est maximum ? Vous lui suggéreriez probablement de renoncer à pratiquer sa passion, dans cet endroit, ce jour-là. Que penseriez-vous si, malgré vos avertissements répétés et bien que la zone soit interdite au ski, cette personne s’engage dans le couloir et meurt emportée par une avalanche ?
Accuseriez-vous la montagne ? Non, bien sûr, vous diriez : « Cette personne, éprise de liberté, a mesuré le risque et choisi en conscience de pratiquer sa passion. Elle en assume la responsabilité. Il n’y a pas à chercher de coupable, de bouc émissaire ».
Ce 21 février, à l’embouchure de la ravine de Saint André, le risque était maximum. Il avait beaucoup plu. La rivière était en crue depuis 2 jours. L’eau était trouble, chargée de toutes sortes de déchets de matières organiques qui attirent les requins. Ces requins avaient été repérés et signalés. Les body boarders avaient été plusieurs fois avertis de leur présence les jours précédents. De plus, toutes activités nautiques étaient interdites dans la zone.
Le risque était maximal, l’horrible accident a eu lieu.
Le requin a été déclaré coupable. Les pêches punitives ont été lancées par la préfecture.
Le 27/08/2016, à Boucan Canot, le surfeur, averti de multiples fois par les maîtres-nageurs-sauveteurs, a rejeté vivement tous les avertissements et s’est engagé le soir après 17h00 : le risque était maximum, l’accident a eu lieu… Alors que la flamme rouge était hissée, et que les activités nautiques étaient formellement interdites ce jour-là.
Qui accuse-t-on ? Le requin ! Les pêches punitives sont lancées. Inutile de dire que l’on n’attrape jamais le requin qui est cause de l’accident. En revanche, tous les requins qui passent par là sont mis à mort.
Respecter les règles du milieu dans lequel on pratique son activité
Comme toutes les activités de nature, votre sport magnifique, et que j’admire particulièrement – se pratique dans un écosystème complexe, peu contrôlable – et c’est ce qui en fait sa richesse -. L’eau, les courants, le vent, le récif, les méduses, les requins et bien d’autres éléments le composent. La vague n’est que l’une des composantes de cet écosystème. Elle ne peut être considérée indépendamment. Elle ne peut-être déconnectée du milieu, il donc nécessaire de respecter les règles de ce milieu.
Vous avez raison de revendiquer la liberté de pratiquer votre belle activité, et vous semblez assumer le risque qu’elle vous fait courir, risque des vagues géantes, risque de noyade, risque de heurts violents avec le récif (n’est-ce pas monsieur Flores), risque de collision avec un partenaire… Selon surf prévention, les accidents de surf sont 8 fois sur 10 le résultat d’une collision avec une planche, que ce soit la sienne ou celle d’un autre. Mais le risque requin, lui, vous le refusez
Si vous ne souhaitez pas respecter les règles du milieu sauvage, il faut pratiquer en indoor. L’escalade en est un bon exemple. Ceux qui pratiquent en falaise respectent les règles imposées par la montagne, ils n’accusent pas le rocher lorsque le piton cède. Ceux qui ne souhaitent pas respecter les règles naturelles pratiquent en salle et peuvent réclamer la sécurité des murs.
L’appâtage massif pour la pêche renforce le problème
Vous demandez l’abattage massif des requins à la Réunion…
Mais c’est la politique qui est mise en œuvre depuis maintenant 3 ans ! Des centaines de requins bouledogues, tigres, blancs ont été tués. Des centaines de requins qui ne seraient probablement jamais restés à la Réunion, s’ils n’avaient été massivement appâtés. Jamais, on a autant massacré joyeusement les requins, parce que jamais on ne les avait autant attirés dans les zones de baignade. Au point que requin bouledogue, requin tigre et requin blanc, qui ne vivent pas dans le même milieu, qui n’ont pas du tout la même écologie, sont capturés dans la baie de Saint Paul le même jour (15 oct 2015) !!!! Pour tous les scientifiques, pour tous ceux qui connaissent les requins, c’est un indice qui ne trompe pas, et qui montre que les requins sont attirés et fixés sur les côtes réunionnaises.
On est en droit de s’interroger sur la pertinence de cette politique d’éradication, que vous souhaitez renforcer, et qui est à l’œuvre depuis 3 ans. On peut même se demander si, depuis mars 2015, les accidents ne sont pas le résultat direct de cette politique massive d’appâtage pour la pêche des requins.
La Réunion est le seul endroit au monde où l’Etat finance massivement (plusieurs millions d’euros engagés ou promis) un programme d’élimination de requins contre l’avis de l’ensemble de la communauté scientifique, sans aucun contrôle des dépenses publiques, sans aucune analyse scientifique sur les pertinence et l’efficacité du programme, sans limite de durée. Non seulement, comme vous pouvez en juger, ce programme de pêche massive n’a pas obtenu les résultats promis par le Comité régional des Pêches Maritimes de la Réunion qui touche massivement les subventions. Ce programme n’a pas réglé le problème, mais l’a renforcé, en attirant et en fixant toujours plus de requins.
Doit-on demander l’éradication d’une espèce pour pratiquer une activité ludique, quand on veut, où on veut, sans respecter aucune règle ?
Est-ce raisonnable ? Est-ce acceptable ? Est-il souhaitable de rentrer dans une telle spirale ? Et après les requins, qui faudra-t-il éradiquer ?
Pour éviter les accidents ? Respecter les règles de base du surf comme les disaient les moniteurs de surf en 2006 :
Ce que nous suggérons pour réduire au maximum les risques d’accidents, est exactement ce que les moniteurs de surf eux-mêmes suggéraient, il y a dix ans, après deux accidents, les 21 et 27 août 2006 (Au Pic du Diable à Saint-Pierre). Je cite le Quotidien de la Réunion du 28/08/2006 : « Arrêtons de prendre des risques », voilà le message que l’ensemble des moniteurs de surf ont souhaité faire passer hier après l’attaque de requin, « Il faut arrêter de surfer après 16h00, surtout en hiver, mais également au lever du jour. Cela fait partie des règles de base du surf. Il faut avoir une attitude plus responsable ! »
Dans le même journal Autre adage : « Redoubler de prudence sur les sites dangereux, décider de rayer définitivement les sites dangereux. A chaque accident, on s’aperçoit que l’homme a modifié le milieu, ordures, station d’épuration et chasseurs qui traînent des poissons à la ceinture.»
Apprendre les règles du milieu, les respecter, c’est cela la liberté du surfeur !
François Sarano
Fondateur de l’association Longitude 181
Pour le collectif Longitude 181, ASPAS, Sea Shepherd, Fondation Brigitte Bardot, Requin Intégration, Sauvegarde des requins, Tendua, Vague.