Le juge administratif ne protégera pas les espèces marines menacées !
LE CONSEIL D’ETAT AUX ABONNES ABSENTS… Le 25 mars 2025, le Conseil d’État a rejeté la requête des associations du collectif « Requins en danger à la Réunion » (Sea Shepherd, Vagues, Taille-vent). Ce recours demandait au juge administratif d’enjoindre au Ministre de la transition écologique de compléter la liste des espèces protégées (article L411-1 du code de l’environnement), en y intégrant près de 80 espèces marines menacées. Sont concernés : tous les requins Carcharhinidés et Sphyrnidae, ainsi que la grande raie guitare, la raie manta, la raie pastenague, le grand requin blanc, le requin taupe bleu, le requin nourrice fauve et le requin renard commun… qui sont, pour certains, victimes de la pêche des requins à la Réunion.
Par son inaction, le ministre refuse d’accorder notre législation avec les recommandations de l’IUCN concernant ces espèces particulièrement menacées (voir informations ci-dessous et décision du Conseil d’Etat en lien).
Alors que s’est tenu à Paris le grand raout SOS Ocean, cette décision du Conseil d’Etat souligne les travers d’un flou juridique affaiblissant la protection de l’Océan par sa porosité face au lobby de la pêche et du tourisme. Nous republions ci-après le commentaire réalisé par l’association WILD LEGAL, partenaire de LONGITUDE 181 dans notre combat pour la protection des requins.

Commentaire de la décision du Conseil d’État n°486318, du 25 mars 2025.
Le juge administratif a perdu sa boussole, la science et le droit ne dialoguent plus.
L’ajustement de la norme environnementale aux réalités écosystémiques est pourtant à l’origine de nombreuses évolutions législatives et juridictionnelles. Il suffit de penser à la consécration juridictionnelle puis législative du préjudice écologique pour en témoigner. Pour cause, les dimensions scientifiques du droit de l’environnement ont dès le départ constitué sa pierre angulaire. Compte tenu des récents rapports sur l’état de la biodiversité, on ne peut que légitimement attendre qu’elles soient aussi sa boussole.
Le refus du Conseil d’État d’enjoindre aux Ministres compétents de compléter la liste des espèces protégées en intégrant des espèces marines hautement menacées s’inscrit à contre-courant de cette relation dialogique entre la science et le droit. À quelques semaines seulement de la Conférence des Nations Unies sur l’Océan, cette décision est inédite… par son non-sens.
Un recours-injonction pour obliger l’administration à se conformer à ses obligations en matière de protection de l’environnement
L’affaire présentée devant les juges du Palais Royal opposait les associations Sea Shepherd France, Le Taille-vent et VAGUES (Vivre activement pour garder un environnement sain) au Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Le 22 octobre 2022, elles ont demandé au Ministre précité de compléter la liste des espèces protégées de l’article L411-1 du Code de l’environnement afin que soient inscrites près de 80 espèces marines menacées à titre principal dans l’Océan Indien et plus particulièrement dans les eaux réunionnaises. Dans cette liste on retrouve l’ensemble des Carcharhinidés, Sphyrnidae, la grande raie guitare, la raie manta, la raie pastenague, le grand requin blanc, le requin taupe bleu, le requin émissole d’Arabie, le requin nourrice fauve et le requin renard commun. En l’absence de réponse, les associations ont attaqué la décision implicite de rejet du ministère devant le Conseil d’État dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir à fin d’annulation injonctive.
Qu’il s’agisse de la directive cadre « stratégie pour le milieu marin » du 17 juin 2008, de la convention sur la conservation des espèces migratrices appartenant à la faune sauvage du 23 juin 1979, de l’article L219-7 du Code de l’environnement, le cadre juridique est aussi hétérogène que précis : il incombe aux autorités administrative une obligation de protection et de conservation des espèces dont l’état écologique est menacé. Pour cela, les ministres chargés de la protection de la nature et des pêches maritimes détiennent la compétence conjointe d’édicter, à leur libre arbitre, un arrêté de protection listant les espèces pouvant bénéficier du régime de protection posé à l’article L411-1 du Code de l’environnement. Cette protection forte comprend notamment l’interdiction de destruction, de mutilation, de capture, de perturbation intentionnelle des espèces et de leurs habitats. Elle est attribuée aux espèces dont “l’intérêt scientifique particulier” ou “le rôle essentiel dans l’écosystème” le justifie. Se faisant, le législateur a expressément prévu que le déclenchement de cette compétence soit commandé par les sciences de l’environnement.
Des espèces “clé de voûte” condamnées à disparaître
En l’état, les données scientifiques sont éloquentes et le juge administratif ne les conteste pas. Il affirme même que :
“La liste d’espèces dont les associations requérantes sollicite la protection comprend un nombre substantiel d’espèces en mauvais état de conservation”, quatorze d’entre elles étant “classées en danger critique d’extinction sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature”.
Il poursuit le raisonnement en indiquant que :
« la régression ou la disparition de certaines espèces d’élasmobranches est susceptible d’affecter négativement les écosystèmes marins à grande échelle et sur une longue période de temps en perturbant leur équilibre” alors même que ces espèces sont considérées comme constituant la « clé de voûte » de certains réseaux trophiques marins.”
À partir de là, la conclusion semblait acquise à la cause des associations, porte-parole des espèces marines. Pourtant, le juge administratif rejette les moyens présentés par les associations refusant de facto d’enjoindre le Ministre à protéger ces espèces alors même qu’elles sont condamnées à disparaître.
Pour le juge administratif, il appartient aux seules autorités compétentes de déterminer les mesures susceptibles d’être les mieux à même d’assurer le respect des obligations qui leur incombent. Il rappelle ainsi qu’il ne peut pas se mettre à la place de l’Administration. La liberté de choix des autorités administratives de recourir à des moyens divers pour agir en faveur de la protection de la nature (il peut s’agir de mesures juridiques, mesures financières, techniques ou d’organisation) ne relève pas de son office. À ce titre, il conclut que le refus implicite ne peut être déclaré illégal.
Qui pour protéger la Nature quand l’administration et le juge sont défaillants ?
En refusant de se placer en posture de juge administrateur, le juge de l’excès de pouvoir dresse un sombre tableau.
La Charte de l’environnement, texte pilier et fondateur de notre ordre juridique, peut bien consacrer le droit de vivre dans un environnement équilibré et sain (article 1er), peut bien imposer à toute personne de prendre part à la préservation de l’environnement dans toute situation (article 2), y compris de doute (article 5), y compris en tentant de maintenir des activités économiques (article 6), elle n’est pas le garde-fou de la Nature face aux hommes et femmes politiques qui se caractérisent par leur silence dans l’exercice de leurs fonctions.
Ces compromissions menacent les droits de l’Océan mais aussi nos droits humains, interdépendants de la bonne santé de nos milieux de vie.
Reste peut-être une piste… celle du recours en responsabilité.
Rendez-vous le 7 juin à Nice, lors de la finale du procès simulé de Wild Legal (en partenariat avec Longitude 181 et Vagues) pour poursuivre ces réflexions.
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