Épisode 3 “Bifurquons !” | Mettre en marche la démocratie écologique
Et si nous changions de trajectoire ? Je veux parler de celle qui nous a emmenés dans le mur des multiples crises parallèles, qu’elles soient économiques, politiques, écologiques, climatiques, sociales, internationales et j’en passe. Existe-t-il une autre trajectoire que celle que nous sommes en train de prendre ? C’est ce que je vous propose d’examiner. Bifurquons.
Mettre en marche la démocratie écologique
Nous avons pu observer que les solutions pratiques ne manquent pas, mais que ce sont nos décisions, nos modèles d’existence, nos processus de décision qui sont les véritables solutions à mettre en place.
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Décisions démocratiques limitées
Aujourd’hui, je vous propose d’explorer le processus de décision démocratique actuel qui trouve ses limites par l’inertie de nos gouvernants face aux bouleversements que nous devons traverser avec douleur. Car force est de constater qu’en France, malgré de nombreux discours et quelques textes, le principe de la participation du public, inscrit par ailleurs dans la Charte de l’environnement et qui fait partie depuis 2005 de la Constitution, ça ne marche pas. Les enquêtes publiques, les concertations, les consultations ne diminuent pas, ni la contestation, ni la critique, ni les conflits ou les antagonismes avec les autorités publiques. Le sentiment d’injustice sociale et environnementale s’amplifie au travers des diverses crises et sujets qui affectent les citoyens. Et malheureusement, le pouvoir public s’est rédit, avec le sentiment de procédures complexes et lourdes dès lors qu’il s’agit de prendre en compte les valeurs de démocratie et d’écologie. L’apogée de la crise d’une démocratie environnementale se situe lors de l’organisation de la Convention citoyenne pour le climat et du rejet de ses propositions, créant une défiance légitime sur la crédibilité accordée au pouvoir public dans la mise en place d’une consultation des citoyens.
Une démocratie environnementale à bout de souffle
Et la loi ASAP, pour l’accélération et la simplification de l’action publique en 2020, a transféré des consultations sur Internet. Autrefois disponibles en mairie, les citoyens devront être un internaute informé et citoyen en distanciel pour participer. Depuis, des décisions à fort impact environnemental peuvent être prises, en passant outre l’obligation d’information et du débat public, auxquelles s’ajoute la répression des mobilisations pour la protection de l’environnement qui entraînent ou aggravent les conflits. La démocratie environnementale n’est pas au mieux de sa forme, malgré un modèle particulier et constitutionnel au moment même où on en a le plus besoin. On objectera que les projets publics soumis à débat ou concertation ont été modifiés dans la majorité des cas, mais ces modifications, le plus souvent à la marge, cherchent à rendre le projet plus acceptable, mais en aucun cas de le remettre en question à l’aune des enjeux qui s’imposent abruptement désormais. Le consensus mou est de rigueur pour ne fâcher personne, sans que les esprits ne soient dupes. Il apparaît désormais que l’utilité publique au sens du bien commun, qui doit profiter à tout le monde, et pour lequel les autorités publiques sont censées agir et sacrifier au bénéfice de quelques-uns. Pourtant, le système politique français fonctionnerait mieux si les citoyens étaient associés aux décisions et non bafoués.
Mépris des citoyens
L’actualité de cet automne 2023 nous en donne encore une preuve. Alors que les dauphins sont tués et mutilés par des engins de pêche sur la côte Atlantique et que le Conseil d’État, au printemps, avait enjoint le gouvernement de faire dans les six mois des fermetures de pratiques de pêche, le secrétariat d’État à la mer, sous la houlette de M. Harvey Berville, encore lui, a soumis à un projet d’arrêté susceptible de réduire les captures accidentelles, projet qualifié de « mascarade » par diverses associations. Résultat de l’enquête, 17 464 avis contre et 4 favorables. Qu’a fait le gouvernement ? Il a maintenu son projet d’arrêté, faisant fi de l’opinion publique, des avis scientifiques qui préconisaient une fermeture des pêches pendant trois mois en hiver quand le projet le limitait à 30 jours.
Mépris des citoyens, déni de démocratie, sourds d’oreilles aux scientifiques, les associations de l’environnement ne défendent plus désormais des objectifs de protection ciblés mais aussi des préoccupations morales ayant trait au bien commun général. On l’a vu également dans l’affaire des mégabassines, où la démocratie environnementale ne permet pas de remettre en question un projet ou la stratégie générale des gouvernants. Les dispositifs existants permettent de ne pas débattre des questions politiques tout en argumentant que la concertation a bien eu lieu.
Un espace de délibération nécessaire
Alors que faire ? Le côté procédurier de la démocratie environnementale à la française n’est plus adapté aux enjeux. C’est une démocratie écologique dont nous avons besoin qui, avec des discussions de fond, donc politiques, sur des questions complexes qui engage notre avenir à tous. Pour exercer ce type de démocratie, il faut en définir les espaces de délibération, de débat, même si les alternatives débattues sont radicales au modèle proposé ou existant.
Mais jusqu’où et avec qui ? Cela pose évidemment le problème de la représentativité de ceux qui y participent. Les travaux en sociologie montrent que le recours à la délibération de citoyens tirés au sort et dûment informés fonctionne et qu’elle donne des résultats au plus près de l’intérêt général et de la préservation des biens communs. Les décisions prises ne peuvent l’être qu’à la condition que toutes les personnes participantes aient les données et arguments fournis par la science ou les représentants des institutions et de la société civile, associations et institutions diverses. Et ce, de manière contradictoire. C’est d’ailleurs cette délibération de citoyens au sort qui est utilisée en justice pour examiner les cas graves en minimisant les biais de jugement. C’est aussi celle qui a présidé dans la Convention citoyenne sur le climat. Encore faut-il que ce processus se traduise non pas par un avis consultatif mais bien par une décision publique non édulcorée pour éviter toute exception ou dérogation ou application de la décision du prince.
Des idées devant être débattues et entendues dans l’urgence
Quant aux institutions publiques, on ne peut qu’appeler au rapprochement de la Commission nationale du débat public ainsi que de l’autorité environnementale chargée d’évaluer les conséquences écologiques des politiques publiques ces deux entités étant insuffisamment prises en compte dans les débats existants et quasi inconnus.
Ou mieux encore, au niveau législatif, d’ouvrir une troisième chambre consacrée aux enjeux environnementaux de long terme avec un droit de veto pour permettre de prendre en compte les générations futures dans notre espace démocratique présent.
Ou encore, instituer dans la Constitution un défenseur de l’environnement, autorité constitutionnelle indépendante afin de faire appliquer le droit de l’environnement existant alors que de nombreux textes de loi ne sont pas traduits en décret d’application ou en règlement. Ce défenseur de l’environnement deviendrait ainsi un guichet unique qui remplacerait les divers conseils et commissions répartis comme le climat, le développement durable, et le débat public, entre autres. Des idées qui méritent toutes d’être débattues, entendues et dans l’urgence si l’on ne veut pas que les décisions soient celles d’une prétention jupitérienne ou monarchique et qu’elles ne soient vues que d’en haut.
Allez, bifurquons.