Épisode 2 “Bifurquons !” | Limiter la consommation de chacun pour tous !
Et si nous changions de trajectoire ? Je veux parler de celle qui nous a emmenés dans le mur des multiples crises parallèles, qu’elles soient économiques, politiques, écologiques, climatiques, sociales, internationales et j’en passe. Existe-t-il une autre trajectoire que celle que nous sommes en train de prendre ? C’est ce que je vous propose d’examiner. Bifurquons.
Limiter la consommation de chacun pour tous !
Nous avons pu observer que les solutions pratiques ne manquent pas, mais que ce sont nos modèles adoptés d’existence, nos comportements, nos processus de décision qui sont les véritables solutions à mettre en place. Pour modifier nos comportements et nos modèles, encore faut-il que nous le fassions à toutes les échelles et pour tous. Et c’est une difficulté que nous n’arrivons pas à surmonter.
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L’ile déserte
Pour s’en convaincre, je reprendrai l’exemple des propos de Thierry Ripoll, chercheur en psychologie cognitive. Et un petit exemple valant mieux qu’un long discours, je vous propose de vous imaginer naufragé sur une île déserte et perdu avec d’autres naufragés. Pour votre survie, chacun ne peut consommer plus de 2 litres d’eau par jour. Mais dans l’ensemble des naufragés, certains sont riches et d’autres sont pauvres. Est-ce qu’il y a du sens qu’un naufragé, au prétexte de sa richesse, puisse consommer la quantité d’eau qu’il souhaite ? Non. Et tous les naufragés s’y opposeraient, car la raison évidente est la remise en cause de la survie de tous. Bien sûr, cet exemple est une métaphore de la situation dans laquelle nous sommes et nous nous enfonçons sur cette planète perdue au milieu du cosmos. La question qui se pose est, pourquoi accepterions-nous sur la planète ce que nous refuserions sur cette île ? A savoir que certains, les plus riches le plus souvent, puissent consommer plus que d’autres. Plusieurs raisons peuvent être avancées.
Des représentations trop abstraites
Tout d’abord, les chiffres et les représentations. Si je vous parle de quelques litres d’eau, vous savez de quoi on parle et vous l’appréciez concrètement à votre mesure. Mais si nous parlons de 40 milliards de tonnes de CO2 émises par la population mondiale et d’une limitation par individu de tonnes de CO2, c’est une représentation trop abstraite pour guider nos comportements et réagir avant qu’il ne soit trop tard. Autre biais, on présuppose que compte tenu du nombre d’habitants sur Terre, un excès de consommation d’un individu ou d’une minorité sera infinitésimal dans la consommation mondiale totale. Pourtant, sur notre île, la consommation excessive d’un seul naufragé sera considérée comme une cause réelle ayant une conséquence collective sur la survie du groupe.
Un système économique à réinventer
Autre effet, sur notre planète, notre système économique ne fonctionne que si chacun consomme librement selon ses moyens. Ne pas maintenir cette règle revient à provoquer l‘effondrement du système économique. Et comme chacun en dépend, personne ne veut une privation de consommation libre. D’autant qu’un autre effet d’abstraction dû à la masse des autres humains, 8 milliards, on a du mal à concevoir ce qu’il signifie, l’éloignement physique avec ceci, mais aussi l’éloignement de nos destins, ne nous permet pas d’imaginer d’imposer une limitation à tous. Sur notre île pourtant, avec quelques naufragés, on peut s’entendre sur notre interdépendance, notre communauté de destin, parce que nous éprouvons la même proximité physique et psychologique. D’ailleurs, cette micro-communauté est de fait perçue par chacun comme homogène, et par conséquent, chacun accepte aisément que tous soient soumis aux mêmes règles. Mais dès lors que différentes communautés coexistent, des relations de compétition apparaissent entre elles. Il devient alors très difficile d’imposer des règles communes. C’est ce que nous expérimentons sur notre planète.
Un désir d’égalité contestable
Une dernière cause pour réfuter des règles communes limitant notre liberté individuelle de consommer, c’est le désir d’égalité que nous partageons, mais qui est modulé par notre sentiment de justice, voire notre jugement. En clair, nous aimons la méritocratie, c’est-à-dire l’existence d’inégalités justes et d’égalités injustes. Ce qui est tout à fait contestable, notamment dans le fait d’octroyer des privilèges incertains, ce que nous rappelle humoristiquement la citation de Coluche « Les hommes naissent libres et égaux, mais certains sont plus égaux que d’autres ». Toutes les raisons évoquées précédemment contribuent à l’acceptation que certains soient plus riches que d’autres, ou autrement dit, plus que d’autres, et qu’ils puissent ainsi consommer et détruire la planète plus que d’autres. Mais est-ce vrai dans notre communauté de naufragés, sur notre île, sur notre planète ? Certainement pas, car légitimer les excès par un écart de richesse ou de statut, c’est tout simplement mettre en danger immédiat notre communauté de destin.
Une limitation de consommation pour tous
On retiendra que pour bifurquer du chemin actuellement pris qui nous mène aux murs, il nous faudra accepter une limitation de notre droit à consommer. Cette limitation indispensable en matière de gestion des communs, que sont l’air, l’eau, les sols, les territoires et l’océan, est tout aussi indispensable dans la gestion privée de tout périmètre, particulier, entreprise, organisme ou État. C’est ce principe même qui est en cause, que ce soit dans l’affaire des mégabassines, dans l’octroi des quotas de carbone, de tonnage de pêche, des dérogations de tous ordres qui sacrifient l’intérêt général au profit de quelques-uns.
L’inégalité de consommation n’a aucune légitimité dans un monde limité.
Allez, bifurquons.