Secrets d’indifférence, épisode 5 | Vacarme dans le monde du silence

par | 4 Nov 2024 | PODCASTS

C’est la chronique d’une catastrophe annoncée que je vous fais aujourd’hui. Secrets d’indifférence est une série consacrée à la découverte de ces sujets pour lesquels notre absence d’attention et notre inertie conduisent à une catastrophe annoncée et en marche.

Aujourd’hui, je vous invite à vous interroger sur une destruction silencieuse mais très bruyante, la pollution sonore sous-marine. Nous sommes de grands bavards et nous nous sentons seuls au monde. Jamais une espèce vivante n’a fait autant de bruit que la nôtre. Nos débordements n’ont pas échappé aux animaux terrestres, qui nous fuient aisément, car nous sommes incapables de discrétion. Et depuis quelques années, nous conquérons le monde sous-marin par le bruit.

Le dortoir des cachalots © Stéphane Granzotto

© Stéphane Granzotto

Ce contenu est disponible au format texte et audio. Bonne lecture ou bonne écoute !

Le bruit, une arme que l’on ne peut pas imaginer

Un bruit qui est une arme fatale dans le monde sous-marin, un bruit dont on a du mal à s’imaginer qu’il est assourdissant, étourdissant. En cause, la totalité des moteurs marins de l’ensemble des navires qui sillonnent les mers, de plus en plus nombreux, la pression sonore quasi permanente des sonars militaires, les forages et les travaux industriels sous-marins du pistolet pneumatique aux ondes sonores dégagées par les appareils sismiques de prospection pétrolière et gazière. Un bruit qu’on ne peut même pas imaginer car nous le pensons à la mesure de nos propres organes d’écoute. Nos oreilles ne sont pas celles des cétacés ou des animaux marins. Un bruit qui va bien plus vite dans l’eau que dans l’air, avec une portée supérieure et qu’on ne peut que deviner mais pas imaginer. Nous, Sapiens, modifions le milieu marin, un milieu où le son, mais également le silence, sont des atouts précieux pour vivre au jour le jour, pour communiquer, chasser, se nourrir.

Ils sont capables d’entendre au milieu de l’obscurité

Oui, bon, on a autre chose à faire que de s’inquiéter de ce qui se passe sous l’eau, qu’on ne voit pas, qu’on n’entend pas, car indifférent à la communauté des personnes non-humaines qui peuplent les océans. Pourtant, et pour reprendre les propos de Camille Brunel dans son livre « Éloge de la baleine », livre que je vous recommande chaudement, c’est que pour comprendre les animaux marins, il faut savoir comment le réel s’offre à eux, comment ils s’en imprègnent, comment ils les traversent. C’est-à-dire connaître leur monde, leur umwelt, pour le dire selon le terme employé en éthologie moderne. Ce qui complique notre approche, c’est que les organes principaux des cétacés ne sont pas les yeux qui sont notre sens principal. Non, pour eux, c’est l’ouïe. Le son, c’est un moyen et un avantage pour communiquer. Une ouïe très fine qui permet de communiquer dans des fréquences diverses, précises, mais aussi littéralement de voir pour les cétacés qui utilisent l’émission de clics ou sonar pour éco-localiser le monde sous-marin, particulièrement dans la profondeur des abysses, là où la lumière ne passe plus. Nous sommes capables de voir au milieu du vacarme. Ils sont capables d‘entendre au milieu de l’obscurité.

Un silence inexistant ayant des conséquences délétères

Nous appréhendons le monde avec des moyens différents. Et nous en sommes pour la plupart totalement inconscients. Dès lors, on applique nos schémas de perception à ce qui nous entoure, avec des conséquences délétères dès lors que nous saturons l’umwelt des animaux sous-marins de signaux sonores. Et ce n’est pas une blague, puisque les bruits sous-marins que nous générons sont si puissants qu’ils peuvent en venir à nous perturber nous aussi, pauvres infirmes de l’audition que nous sommes. J’en veux pour exemple l’expérience que j’ai vécue, la résonance des sonars militaires dans la coque d’un bateau qui m’a obligé de quitter ma cabine pour fuir sur le pont afin de pouvoir dormir. Le monde du silence n’existe plus, car pour le monde sous-marin, c’est un brouhaha incessant qui occulte les communications ou les atténue, qui déroute, voire qui crée des lésions et des perturbations menant à du stress altérant des comportements, des pertes d’audition, voire des changements d’habitat fréquents pour fuir, et aussi des échouages massifs de cétacés par exemple.

Transformation sonore et destruction du monde sous-marin - Secrets d'indifférence

Des échanges sonores riches et uniques

Les baleines chantent, les orques sifflent, les cachalots cliquent. Leurs échanges sonores sont au moins tout aussi riches que celles que nous apportent nos appendices de perceptions terrestres. 34 millions d’années d’encéphalisation leur ont donné des capacités de découverte de leur monde avec des oreilles et ou un sonar que nous ne sommes pas encore prêts à appréhender.

Des nuisances évitables

Notre ignorance, notre indifférence à ceux qui ont des standards de perceptions différents des nôtres nous conduisent à sous-estimer l’impact des nuisances délibérées et destructrices que nous produisons. Depuis les années 70, les basses fréquences émises par les bateaux ont été multipliées par 32 le long des principales routes maritimes. Mais elles sont évitables. Isoler les moteurs, utiliser des hélices plus silencieuses, limiter les puissances, diminuer les vitesses et donc le bruit, limiter les puissances des sonars et leurs fréquences d’utilisation, préserver des zones de toute perturbation sonore

Bref, laisser une place aux populations non-humaines, pour vivre en paix dans un monde sans agressions constantes et aux conséquences irréversibles.

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