Comprendre les observations de requins sur le littoral méditerranéen

par | 20 Août 2023 | Actualité Requins, News

Chaque été, des observations de requins se multiplient le long du littoral méditerranéen. Si elles ne sont pas surprenantes au regard de la saison, leur médiatisation excessive donne une fausse impression d’abondance de ces animaux dans la Grande Bleue. 

   

Pourquoi ces observations estivales sur nos côtes ?

Difficile d’être passé au travers cet été : l’apparition d’un requin sur une plage du Barcarès a défrayé la chronique, les estivants et les médias s’étant emparé de l’évènement. Longitude 181 a ainsi été sollicitée par différents médias pour expliquer ces apparitions si proches de la côte.

La plupart des observations concernent des requins peau bleue. Ce requin pélagique, vit au large en région tropicale et tempérée, il évolue donc bien dans son habitat naturel en Méditerranée. 

Il n’est pas rare de croiser la route d’individus le long des côtes à la belle saison. Les femelles, vivipares, se rapprochent du littoral pour mettre bas dans un endroit tranquille et moins exposé aux prédateurs. Qu’il s’agisse de femelles gestantes ou de juvéniles, ces observations ne sont ainsi pas inhabituelles, en particulier dans le Golfe du Lion, réputé pour être une zone de reproduction et une nurserie.

Cependant, dans un contexte moins heureux, il est aussi possible que des individus en détresse, affaiblis par une infection ou une blessure, soient désorientés et amenés à nager plus près des côtes. C’est le scénario privilégié concernant les 2 requins bleus qui ont été vus sur la côte espagnole quelques jours avant celui du Barcares. L’un deux s’est échoué sur une plage, le lendemain de leur signalement. 

Des populations de requins en déclin

En Méditerranée, 40% des requins bleus sont porteurs d’au moins 1 hameçon au niveau de la gueule ! Principalement hameçonnés sur les lignes dédiées à la pêche au thon, sur des palangres, ils sont aussi visés par la pêche sportive qui fait beaucoup de dégâts sur l’espèce. Même quand les individus sont relâchés, et des hameçons spécifiques utilisés, les animaux pêchés sont rendus à la mer épuisés. 

Pourtant, des dizaines d’opérateurs peu scrupuleux continuent à proposer de la pêche pour cibler ces requins, en particulier en Occitanie. Une aberration quand on connaît l’état très préoccupant de ces populations.

Car en effet, si le peau bleue est une espèce classée en liste rouge de l’UICN avec le statut le plus défavorable, il n’est pas pour autant protégé en Méditerranée ! 

L’espèce est aussi malheureusement connue pour être la plus pêchée au monde; 90% des populations ont ainsi été décimées ces dernières décennies, la classant en statut quasi menacé au niveau mondial. Surpêche et pêche non sélective sont en passe de condamner l’espèce alors même qu’il s’agit d’une des espèces de requins les plus fertiles, avec une centaine de juvéniles par portée.

Des observations qui devraient être beaucoup plus nombreuses

Mais ce qui interpelle le plus dans ces observations, c’est leur rareté ! Si ces observations ne sont en soi pas exceptionnelles dans l’espace et dans le temps dans lequel elles s’inscrivent, elles le sont par leur marginalité. Au regard du nombre croissant de touristes et plaisanciers qui fréquentent les littoraux, ce sont des dizaines de ces observations qui devraient être faites chaque été, or elles se résument à quelques unes.

Grace aux smartphones permettant de partager des vidéos sur les réseaux sociaux, chaque apparition est largement médiatisée, donnant au grand public une fausse impression d’abondance des requins sur nos côtes. Cette surmédiatisation alors que l’espèce est largement fragilisée ne donne pas le ton de la protection qui devrait s’imposer : plutôt qu’entretenir la peur et le cliché de l’animal mangeur d’hommes, il faudrait au contraire se servir de ces supports pour sensibiliser sur la nécessaire préservation des populations afin d’assurer la pérennité des générations de requins à venir et jouer le jeu de la communication informative et positive. 

Plutôt que présenter l’évènement comme une expérience effroyable, mettont plutôt en avant la chance inouïe qu’ont eu ces baigneurs de pouvoir apercevoir cet aileron, discerner sa nage gracieuse et les reflets de sa peau sous les rayons du soleil. Baignez-vous sans crainte, et si vous faites un jour cette incroyable rencontre avec un requin, sachez en apprécier la valeur ! C’est une expérience que même la plupart des plongeurs professionnels n’auront jamais dans leur vie en Méditerranée, tellement les rencontres se font rares !

Une expérience qui devrait nous rappeler combien la vie de ces espèces ne tient qu’au fil qu’on voudra bien continuer à leur tisser.

 

Même constat de l’autre côté de la Méditerranée

Emir Berkane, président de l’association algérienne de protection du milieu marin Probiom, partage le même constat : à l’approche de l’ouverture de la saison estivale, des vidéos de requins prises en Tunisie et Lybie (zone de reproduction du requin blanc) ont semé la terreur parmi la population algérienne. 
Des observations en petit nombre, montrant des requins nageant paisiblement sous la surface, mais suffisantes pour provoquer une panique générale à l’approche de l’été. Ces vidéos sont partagées un tel nombre de fois via les réseaux sociaux qu’elles donnent l’impression d’un littoral envahi par les requins, alors que les scientifiques martèlent au contraire que les effectifs de la plupart des espèces sont en diminution drastique.
Ces communications ne rendent pas justice à l’espèce, montrée du doigt et désignée comme trouble fête à l’approche de l’été. Heureusement, là-bas aussi Probiom corrige les erreurs d’interprétation via les médias locaux. 

En replay sur ce lien : une partie de l’édition du soir de BFM TV du 23 juillet 2023.

En duplex :

Bernard Seret, océanographe Audrey Dubern, Longitude 181

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