Pour des aires marines véritablement protégées
L’interdiction de la drague et du chalutage de fond dans les aires marines protégées d’ici 2030 a été balayée par Hervé Berville, secrétaire d’Etat chargé de la Mer, dans toutes ses récentes déclarations. Plus de protection pour ce qui en a le nom ! Longitude 181 réitère sa demande d’adoption d’une protection stricte dans les aires marines protégées et à faire correspondre sa définition de la protection forte des aires marines protégées avec celle de l’Union Internationale pour la Conversation de la Nature (UICN), à savoir la protection intégrale ou haute.
Les aires marines protégées (en France) ne le sont pas !
« Rendre les pêcheries de l’Union européenne plus résilientes, c’est aussi veiller à ce qu’elles contribuent à la protection et à la restauration des écosystèmes marins dont elles dépendent. Un milieu marin sain, doté de stocks halieutiques sains et d’une riche biodiversité, est la seule manière de garantir à nos communautés de pêcheurs un avenir prospère à moyen et long termes. »
Tel était l’un des objectifs du plan d’action de la Commission Européenne publié le 21 février 2023 dont l’une des propositions s’articulait autour de l’interdiction de la drague et du chalutage de fond dans les aires marines protégées d’ici 2030. Cette avancée a été balayée d’un revers de la main par Hervé Berville, secrétaire d’Etat chargé de la Mer, lors de son intervention au Sénat le 8 mars dernier en affirmant que :
« la France et le gouvernement sont totalement, clairement et fermement opposés à la mise en œuvre de cette interdiction d’engins de fond dans les aires marines protégées ».
Dans un communiqué de presse diffusé à la suite d’une rencontre avec le Commissaire Européen à l’Environnement et à la Pêche, Virginijus Sinkevičius, M. Berville se targue même d’avoir obtenu la confirmation qu’une interdiction des engins mobiles de fond dans les aires marines protégées ne serait pas imposée aux Etats Membres de l’Union Européenne.
A peine diffusé, le plan d’action proposé par la Commission Européenne, qui rappelons le, n’était pas contraignant pour les États Membres, est d’ores et déjà enterré et la France a une nouvelle fois raté une occasion d’être un pays moteur dans la protection de ses zones marines.
Des effets d’annonce
Les chiffres annoncés par la France sont pourtant éloquents : les aires marines protégées couvrent 30% de l’espace maritime français comme l’a annoncé Emmanuel Macron lors du One Ocean Summit à Brest à l’hiver 2022. La France, aux côtés de l’Union Européenne, a même fait inscrire cet objectif de protection de 30% des zones marines du monde à horizon 2030 à Montréal lors de la COP15 en décembre dernier.
Derrière ces effets d’annonce, la France est pourtant loin du compte. Seulement 1,7% des territoires marins de la zone économique exclusive française sont sous protection forte. Dans plus de 98% des aires marines protégées, les activités extractives telles que la pêche au chalut sont autorisées, à l’encontre des recommandations internationales.
Multiplier les aires marines protégées sans en assurer une protection stricte, comme le fait la France, est un coup d’épée dans l’eau. Les scientifiques sont sans appel : seules les protections intégrales ou hautes ont un impact sur la biodiversité, les ressources halieutiques et le climat. Et pour cause, les herbiers marins stockent jusqu’à 18% du carbone absorbé par les océans, alors qu’ils recouvrent moins de 1% de la surface sous-marine. Ces herbiers, également essentiels pour la reproduction des poissons, sont les premières victimes des chaluts de fond, encore autorisés dans les aires marines protégées françaises, mais aussi de la pollution des navires et des rejets terrestres. Que ce soit pour les herbiers ou pour les ressources halieutiques, seule la restauration passive permet une régénération des écosystèmes, en limitant au maximum les activités humaines qui s’y exercent. Les aires marines strictement protégées sont le seul moyen d’assurer cette régénération, dont dépend à moyen terme notre sécurité alimentaire et climatique.
L’Union européenne, en fixant un objectif de 10% d’aires marines strictement protégées d’ici 2030 et en souhaitant interdire le chalutage de fond dans toutes les aires marines protégées, s’engageait sur la bonne voie.
Les lignes bougent, et pourtant la France reste derrière, alors même qu’Emmanuel Macron se place depuis l’année dernière en leader mondial pour la protection des Océans. « Un accord pour protéger l’océan comme bien commun de l’humanité, voilà notre ambition » avait tweeté le Président de la République le 10 février dernier à propos du prochain One Ocean Summit qui aura lieu à Nice en 2025. La France ne manque pas d’ambitions mais dès qu’il s’agit de les traduire en avancées concrètes, elle se fait beaucoup plus discrète et prône un statu quo qui n’a que trop duré.
Une indispensable Protection
Le rejet par M. Berville d’une interdiction des engins de fond dans les aires marines protégées serait fondé sur la nécessité de préserver les emplois dans le secteur de la pêche.
Les contre-arguments sont nombreux.
L’interdiction ne vise en effet qu’une minorité de l’espace maritime français, à savoir ses aires marines protégées. Comment une aire marine peut-elle être considérée comme « protégée » si l’une des pratiques de pêche les plus destructrices, comme le chalutage de fond, y est pleinement autorisé ? De quoi les aires marines françaises seraient-elles alors protégées ?
L’impact positif des aires marines protégées sur la population en poisson n’est plus à prouver. L’exemple de Cap Roux[1], où les pêcheurs rassemblés en « prud’homie » ont eux-mêmes décidé d’y interdire la pêche montre que l’opposition que veut construire Hervé Berville entre pêcheurs et défenseurs de la biodiversité marine n’a pas lieu d’être. Il est du devoir du gouvernement d’accompagner les pêcheurs dans la transition vers des outils de pêche respectueux du vivant. Sans cela, en effet, le secteur de la pêche s’effondrera face à la disparition annoncée des écosystèmes et des poissons.
Les aires marines strictement protégées sont nécessaires tant pour sauvegarder les emplois des pêcheurs à moyen terme que pour limiter le réchauffement climatique. Pourtant, vous, gouvernement français, vous obstinez à autoriser des activités destructrices dans les aires marines protégées.
Qui oserait raser une forêt dans un parc national pour y développer l’agriculture intensive ? C’est peu ou prou ce qui se joue aujourd’hui dans les aires marines protégées.
Un appel à la protection et à la raison
Excepté les poissons, les mammifères marins, et toutes les espèces composant ces écosystèmes, il n’y a aucun témoin des drames qui se déroulent au fond des mers. Trop peu d’humains émus pour que cela ait réellement un poids politique. Quels droits ont donc ceux que cela touche directement, et qui nous rendent des services inestimables ? Et au-delà des services écosystémiques que la biodiversité nous apporte, ne serait-il pas temps également de la considérer pour sa valeur intrinsèque ? D’arrêter de la marchander systématiquement au risque de mettre sa protection au second plan. La crise de la biodiversité que nous traversons actuellement pourrait peut-être « nous inciter à une réévaluation profonde de nos valeurs et de nos représentations »[2]. Les écosystèmes marins sont autant invisibilisés que méconnus. Pourtant, si rien n’est fait, les conséquences se feront toujours plus sévères, autant sur ces espèces marines que sur notre espèce humaine.
Nous appelons donc la France à adopter une protection stricte dans les aires marines protégées et à faire correspondre sa définition de la protection forte des aires marines protégées avec celle de l’Union Internationale pour la Conversation de la Nature (UICN), à savoir la protection intégrale ou haute.
Adopter aujourd’hui la définition de l’UICN, c’est limiter la catastrophe environnementale et sociale à venir, en préservant le rôle des mers et des océans comme garants de l’équilibre climatique ainsi que les ressources halieutiques faisant vivre les pêcheurs français et assurant notre sécurité alimentaire. La France doit avoir le courage de prendre des mesures fortes, pour réellement protéger l’océan, pour faire évoluer les métiers de la mer, pour faire reconnaître ce que ces écosystèmes nous apportent au quotidien.
[1] Cantonnement du Cap Roux (planetemer.org)
[2] Virginie Maris, « De la nature aux services écosystémiques – Une commodification de la biodiversité », EcoRev’ n°38.
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